La Pleine Lune avait repris sa route, après l'étape de Minas Tirith qui s'était finalement déroulée plus tranquillement que ne l'avaient auguré les premiers instants dans la capitale. Le chariot cheminait maintenant vers l'Ouest, et s'arrêtait chaque soir dans un nouveau village des Montagnes Blanches. Ce jour-là, les baladins avaient entamé la traversée de la forêt de Druadan. Le temps était chaud, et l'air lourd laissait peser la menace d'un orage avant la fin de la journée. Sur la piste entre les arbres, la roulotte et les deux cavaliers l'accompagnant avait avancé en silence, la chaleur se faisant trop écrasante pour que quiconque ait envie de parler plus que nécessaire.
La pause du midi avait été accueillie avec des soupirs soulagés, et, la chaleur ambiante associé à la période de digestion poussant à la somnolence, il avait été décidé qu'on s'accorderait une petite sieste avant de repartir. Darilyn, elle, n'avait pas envie de dormir, mais les sous-bois ombragés étaient bien accueillants, et elle s'y était engagée en compagnie de Brimfugol qui, comme sa jeune camarade, préférait occuper son temps autrement qu'en repos : cette pause pourrait être l'occasion rêvée pour une récolte de plantes aux propriétés diverses, que la blonde rohirrim avait appris à connaître il y avait bien longtemps. Les deux femmes allaient donc, la plus jeune suivant son aînée qui marchait le nez au sol pour repérer ce qui l'intéressait.
" Tiens, Dari, tu vois ces petites fleurs blanches ? Les feuilles sont très efficaces pour apaiser les maux de tête, et comme elles sont plutôt rares, tu peux ramasser toutes celles que tu trouves. "
Aussitôt dit, la danseuse s'était accroupie pour la cueillette.
" Je vais là-bas, il y a des boutons d'azur "
indiqua Brimfugol de la main, avant de s'éloigner dans une autre direction. Darilyn, elle, s'appliquait à emplir son petit sac de tissus avec les feuilles duveteuses. Elle allait d'un plan à l'autre, l'attention toute tournée vers sa récolte, sans se rendre compte que, pas après pas, elle s'enfonçait plus avant dans la forêt. Lorsque la quantité de végétal lui sembla suffisante, la jeune fille se releva pour aller retrouver sa camarade musicienne, mais n'en vit pas trace. Elle songea qu'elle s'était peut-être un peu trop éloignée de son point de départ, mais il lui suffirait de suivre les fleurs blanches pour le retrouver. La réalité s'avéra plus compliquée : il n'y avait pas une unique piste de ces fleurs, mais un nombre bien trop grand pour qu'elle s'y retrouve. Perdue, elle l'était bel et bien.
Alors, monta l'angoisse. Qui pouvait savoir ce qui se tapissait derrière ces buissons d'apparence pourtant si anodine ? Qu'adviendrait-il d'elle si elle ne parvenait pas à retrouver la 'Pleine Lune' ? Un bruissement se fit entendre, du côté justement de ces buisson si touffus qu'ils pouvaient dissimuler de ces choses que personne ne désirait rencontrer. Elle aperçut, ou crut apercevoir une ombre, et il n'en fallut pas plus pour qu'elle détale, comme un animal effrayé. Elle courut à perdre haleine, sans prendre le temps de se retourner pour savoir si sa fuite avait encore un sens. Mais en avait-elle eu un parfois ? Darilyn courait, comme le jour où elle avait finalement échappé à ses geôliers. Peu importaient les branches basses qui la giflaient au passage, ni les rameaux de petits épineux qui griffaient ses chevilles.
Alors qu'elle allait toujours droit devant elle, la luminosité commença à augmenter. Une clairière ? Elle ralentit ses foulées, prenant seulement conscience à cet instant du caractère totalement irrationnel de sa réaction. Eh bien, si elle était vaguement perdue après sa cueillette, maintenant, elle l'était totalement. C'était tout ce qu'elle avait gagné. Et elle approchait de la lisière de la forêt. Avait-elle couru aussi longtemps ? Il fallait croire que oui. En même temps qu'une conscience moins primitive que celle qui avait dominé pendant son mouvement de fuite, lui venait aussi la fatigue. Elle s'adossa à un arbre, en s'efforçant de reprendre son souffle. Au-delà, s'étendaient de douces collines chauffées par les rayons de soleil qui parvenaient à percer les nuages d'orage. Le vaisseau d'Arien, estima-t-elle, avait dû parcourir à peu près la moitié de son chemin depuis son zénith.
Elle frissonna à l'idée de rester seule, au-dehors, dans ce lieu inconnu. Mais comment faire pour retrouver ses compagnons musiciens ? Comment ? Toujours appuyée contre le tronc, elle ferma les yeux pour tenter de remettre un peu d'ordre dans ses pensées. Les battements sourds de son coeur, causés par sa course effrénée combinée à son angoisse, l'empêchèrent d'entendre qu'un cavalier approchait. Quand elle rouvrit les paupières, il était trop tard pour s'enfuir à nouveau.