La traversée des Champs de Pelennor

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Aragorn avait maintenant quitté les murs de la Cité Blanche. Arod trottait d'un pas léger et semblait heureux de retrouver un sol doux à fouler. Les herbes étaient hautes d'au moins trois pieds; le cavalier emprunta un chemin de terre qui avait été tracé par les nombreux passages de chars de commerce et de chevaux. Sa silhouette se perdit alors parmi les hautes herbes, et bientôt, les gardes de la Tour postés sur la premier Cercle de Minas Tirith ne le virent plus. Ainsi Elessar partait-il à la rencontre de sa bien-aimé dans le pays de ses alliés et de ses cousins.

"Nous en avons pour cinq jours à cette vitesse mon bon Arod, lui disait-il, mais il n'est nul besoin de te presser. Profite donc de ces moments et de ceux qui viendront: ce sont les tiens."

Il donna des tapes amicales dans le cou de la bête, qui répondit à Aragorn par un haussement de tête et un petit hennissement en signe d'affection.

Malgré la hauteur de l'herbe, Aragorn, assis sur son fidèle destrier, dominait la vue tout autour. Il vit à sa droite la chaîne de montagnes d'Ephel Duath, qui se dessinait à l'Orient sous un ciel éclairci et se terminait vers le nord par un éboulement gigantesque de pierres (qui avait été le résultat de la chute de Sauron). À sa gauche, très près, se situaient les Montagnes Blanches; les hauts sommets lui cachaient la présence du soleil à cause de leur proximité. Quelques minutes plus tard, il se retourna et vit sa cité disparaître derrière le flanc nord du mon Mindolluin.

Sa rencontre peu ordinaire avec l'homme avec la cape rouge lui revint alors en tête. Quel était le but de ses paroles? Qui était-il exactement pour dire de telles choses? Allait-il se passer un certain événement d'une importance considérable auquel il aurait à participer? Le Mal de Sauron n'était plus...mais Galarith...il chassa une fois de plus ces pensées de sa tête.

***

Cela faisait maintenant presque une journée qu'Aragorn avait quitté Minas Tirith. Il avait parcouru vingt lieues (100 kilomètres) et son cheval commençait à fatiguer. Aragorn décida donc d'établir campement à la lisière d'un petit bois, situé au pieds d'Ered Nimrais. La végétation y était plutôt dense; il examina attentivement le sol afin de s'assurer qu'aucune bête sauvage ne se trouvait dans les parages. Il s'assura également de trouver un bon endroit d'où il pouvait avoir vue sur le chemin de terre mais où on ne pouvait le voir. Bien que Sauron fut vaincu, les orques de Mordor parfois partaient chasser la nuit.

*Ah, voilà l'endroit parfait. Les arbrisseaux et buissons me cacheront bien, et ce tapis de feuilles me servira de matelas pour la nuit.*

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L'homme et la bête étaient tous deux las. La région qui longeait les Montagnes Blanches était rocailleuse et dénivellée; Arod avait beaucoup peiné à un certain moment de la journée, et Aragorn quant à lui avait encaissé chacun des pas de son cheval dans ses muscles dorsaux.

Aragorn compacta davantage de feuilles en un tas plus ou moins égal: il s'en servait comme coussin. L'espace qu'il venait de dégager lui permit par la même occasion de déposer le sac de vivres qu'il avait pensé emmener pour la route. D'un geste sec, il planta son arc à côté des feuilles, puis il déroula un long morceau de cuir qui dévoila des flèches. Il en détacha les gances de manière à pouvoir en retirer rapidement les flèches en cas de besoin, dans le cas où une bête pourrait lui épargner de dépenser des vivres. Ou encore si par malchance un orque s'aventurait sous l'oeil vigilant de Grands-Pas.

Il avait attaché Arod à un arbre, à quelques pas un peu plus loin dans le bois pour ne pas que la silhouette énorme du cheval fut apparente du petit chemin de terre. Après s'être assuré que tout serait en sécurité, il quitta son petit campement et explora les alentours. Il s'enfonça dans le bois, prenant la peine de couper les herbes devant lui pour retrouver son chemin, et l'obscurité se referma sur lui.

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Le bois ne devait pas être très profond à cet endroit; à peine quelques minutes plus tard Aragorn déboucha sur une petite clairière, traversée à quelques mètres de la lisière par un petit ruisseau. Les reflets de la lune mirroitaient sur l'eau immobile. Grand-Pas s'y rendit donc, toujours vigilant au moindre son suspect, et y but quelques gorgées, à savoir si elle était potable ou s'il valait mieux trouver une autre source d'eau. Elle était bonne à boire: il se releva et fit le trajet inverse pour aller retrouver Arod.

De retour à son campement temporaire, il y retrouva tout comme il l'avait laissé. Il détacha Arod de l'arbre et de nouveau se dirigea vers le petit ruisseau pour faire boire la bête, qui après de nombreuses heures de chevauchée, méritait bien de se rafraîchir. Il se rendit donc à la clairière au-delà de laquelle le bois se prolongeait, une main sur le cou de son cheval qui avançait sans protester et suivant l'itinéraire qu'Aragorn avait suivi quelques minutes auparavant.

Toutefois, un bruit qui semblait venir de l'avant le figea. Arod fit de même, sentant qu'Aragorn avait entendu un bruit peu commun.

"Silence Arod! Ne bouge plus!"

Mais trop tard. Plus aucun bruit ne se fit entendre. C'était le silence total. Aragorn, sans hésiter, déchargea Arod de sa selle et de sa bride, les déposa soigneusement dans des hautes herbes pour ne pas les rendre visibles, puis donna une légère tappe sur le flanc droit de l'animal, pour lui indiquer de suivre son chemin vers la rivière. Arod commençait à s'éloigner; Grand-Pas saisit la garde d'Anduril et laissa une certaine distance entre lui et l'animal avant de le suivre, à demi accroupi, et évitant le plus possible de faire du bruit.

Ses précautions furent récompensées: il entendit à nouveau, toujours en avant et à droite, le même bruit qu'il avait entendu et qui l'avait alerté. Il s'agissait sans aucun doute d'un ou plusieurs orques qui l'avaient vu alors qu'il s'abbreuvait dix minutes auparavant. Son piège fonctionnait à merveille. Croyant avoir pris Aragorn, mais voyant que ce n'était qu'un cheval sauvage (ayant enlevé la selle), les orques abaisseraient leur garde et Aragorn en profiterait à ce moment pour les prendre par derrière, espérant que les orques ne fissent toutefois pas de mal à son destrier. Il s'empressa donc de se diriger, mais toujours furtivement, d'où provenaient les bruits, inquiet pour Arod.

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Son plan s'était très vite dessiné dans sa tête; il tenait en distance son cheval afin de voir les assaillants sortir de leur cachette, pour passer à l'attaque directement, Anduril à la main. Il continua donc d'avancer silencieusement, accroupi et méfiant, regardant de tous côtés; le bruit de feuilles semblait plus proche. Il provenait maintenant de sa droite ou presque, de sorte que les orques se trouvaient maintenant plus près d'Aragorn que d'Arod. Mais ce qu'il entendit lui chassa tout doute. Une voix avait chuchoté en Langue Commune:

"Ce n'est rien, qu'un cheval sauvage...j'ai cru que c'était un orque ou un gobelin..."

Un sifflement qui devait provenir du même interlocuteur se fit ensuite entendre, ce qui laissa croire à Aragorn qu'il n'était pas seul, en plus d'avoir parlé...comme de fait plusieurs hommes, tout habillés de vert foncé, cela il pouvait le discerner à la lumière de la lune, se rassemblèrent et rejoignirent Arod, ravis de la beauté royale de la bête. Prenant toujours la précaution de ne pas se faire remarquer pour ne pas recevoir par réflexe une flèche en plein corps, il s'exprima dans le même langage qu'eux.

"Ce n'est pas un cheval sauvage que vous semblez contempler avec tant de charme; c'est le cheval du Roi."

Comme il s'y attendait, tous prirent leur garde et préparèrent des flèches en un très court instant. Le visage d'Aragorn était caché dans l'ombre de la forêt; les rôdeurs de Gondor ne l'avaient pas reconnu. Ce dernier s'avança donc de quelques pas et discerna un changement d'attitude des hommes au fur et à mesure que son visage se dévoilait. Maintenant que son visage était tout éclairé de la lumière de la lune, il vit devant lui une demi douzaine d'homme s'incliner bien bas.

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Un petit sourire se dessina sur les lèvres d'Aragorn. La main appuyée sur la garde de son épée encore dans sa fourreau, attaché à sa ceinture, il parla:

"Mais non mes amis, cela n'est pas nécessaire. Voyez, aujourd'hui je suis Grands-Pas, le Rôdeur du Nord. Ces formalités sont inutiles."

Normalement, une telle réponse face à ce geste de la part de ces hommes dévoués à un Roi les auraient quelque peu troublés, se demandant s'il fallait ou non rabaisser les convenances. Mais ce n'était pas le cas. Aragorn avait toujours détesté que l'on l'élève plus haut qu'il ne voulait l'être en vérité. Cela on le sentait bien; tout le monde, peut importe son statut social, tout le monde se sentait rassuré après une seule parole de lui: il savait apaiser les esprits les plus nerveux.

Les hommes s'exécutèrent donc immédiatement; chacun leva d'un même geste, lent mais respectueux, la poitrine, jusqu'à devenir droits. Cette scène, dans la forêt de Gondor, était des plus majestueuses, malgré l'égalité qu'Aragorn voulait entre lui et les Rôdeurs: lui, seul et grand, avait leur respect le plus sincère. Celui qui semblait être le capitaine du petit groupe s'avança et parla, le premier à rompre le silence.

"Mon Roi, nous sommes désolé de vous avoir mis en joue; quelles chances, oui quelles chances avions-nous de tomber sur notre souverain!" dit-il à basse voix, un peu embarrassé.

Grands-Pas rit légèrement, tout en répondant:

"Je vous assure que ce n'est rien, mon cher. Je suis même ravi de voir à quelle vitesse vos hommes ont réagi; j'en fus stupéfait. Si j'avais cru toutefois qu'un de vous aurait tiré, je ne me serai pas montré aussi promptement. Quel est votre nom, homme du Gondor?"

"Je suis Haldon, fils d'Halmor, Roi Elessar. Capitaine des rôdeurs que voici ici. Nous étions en mission d'éclairage: les habitants des villages entourant ne sont pas tranquilles. Le bétail d'une des familles a été porté disparut, et du sang tapissait le sol terreux près du village. Nous pensons qu'un petit groupe d'orques traîne dans les parages."

Grand-Pas reprit:

"Haldon, fils de Halmor, je crois qu'effectivement des orques rôdent dans les alentours. J'ai senti une présence malsaine alors que je vins m'abbreuver ici il n'y de cela que cinq minutes. Or, je peux tout à fait confirmer que ce n'était pas celle de vos hommes. Je vis même une forme se mouvoir rapidement puis disparaître sous les arbres, loin vers le nord. N'y portant pas attention en croyant que ce n'était qu'une bête sauvage, je regrette maintenant d'avoir été aussi imprudent après votre récit. Mais retournons près de la route: j'y ai laissé mes affaires."

Sur ce, les sept hommes se redirigèrent vers le campement qu'Aragorn avait installé pour la nuit, après que Brego eut bu dans le petit ruisseau. Aragorn, comme à son habitude, qui d'ailleurs était fort appréciée des gens du peuple, se mit à converser avec les Rôdeurs. Ces derniers semblaient enchantés d'avoir un Roi aussi sociable; aussi s'en réjouirent-ils et conversèrent avec grand intérêt avec celui qui, quelques mois auparavant, vit l'Ombre de Saroumane et celle de Sauron de bien près, et qui l'avait vaincue.